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Présentation de la coalition GILC à l'OCDE

Meryem Marzouki

2 juillet 1997

Mesdames, Messieurs,

Je m'adresse à vous au nom d'un collectif international d'organisations non gouvernementales réunies dans le cadre de la coalition GILC : Global Internet Liberty Campaign. GILC représente une trentaine d'organisations dans le monde, dont plusieurs organisations européennes et américaines. GILC comprend aussi bien des organisations de défense des droits de l'homme et des libertés civiles que des associations d'utilisateurs d'Internet.

La coalition GILC a déjà eu l'occasion de présenter ses vues à l'OCDE, notamment en septembre dernier lors de la conférence sur la politique en matière de cryptographie. Une copie de la résolution présentée alors par GILC vous a été distribuée.

La plus récente action de la coalition GILC concerne le thème principal de cette réunion sur les contenus sur Internet : il s'agit d'une motion adressée au Parlement Européen, suite à la résolution qu'il a adoptée en avril dernier sur la Communication de la Commission Européenne relative au contenu illégal et préjudiciable sur Internet. Une copie de cette motion vous a été distribuée.

C'est également sur ce thème des contenus illégaux sur Internet que je souhaite m'adresser à vous aujourd'hui, et je voudrais vous remercier de cette occasion qui nous est donnée de présenter notre point de vue. Je remercie en particulier le secrétariat de la division ICCP de l'OCDE qui a organisé cette rencontre.

Mesdames et Messieurs,

Internet n'est pas un média de masse, de même qu'il ne se limite pas au secteur marchand. Ce sont des citoyens qui s'y expriment et qui en sont les acteurs majeurs.

Internet offre des possibilités exceptionnelles de développement individuel et collectif par la communication, l'accès aux connaissances, l'échange et la collaboration. Les richesses de ce réseau doivent donc être accessibles à tous, dans le respect des libertés individuelles et collectives fixées par le droit.

Ce qui est illégal hors Internet est également illégal sur Internet. Mais il est aussi important de rappeler que toute tentative de contrôler Internet plus sévèrement que d'autres moyens de communication serait vouée à l'échec.

Toute tentative d'instaurer un contrôle non respectueux des droits des citoyens ne peut qu'être vouée à l'échec également, et deux expériences nous l'ont prouvé : la première lorsqu'en juillet dernier le Conseil Constitutionnel de la République française a rejeté l'article 15 de la loi sur les télécommunications, et la seconde est très récente, puisque la Cour Suprême des Etats-Unis vient de déclarer inconstitutionnelles les dispositions contestées du Communication Decency Act.

Dans les deux cas, des organisations membres de GILC ont jugé nécessaire de rappeler que, sur Internet comme ailleurs, les principes fondamentaux de liberté d'expression et de respect de la vie privée doivent être respectés.

Ces principes sont inscrits dans la plupart des Constitutions dont nos pays se sont dotés, mais aussi dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, dans la Convention Européenne des Droits de l'Homme, comme dans d'autres textes internationaux.

Ce sont donc ces principes qui, appliqués à Internet, doivent guider l'élaboration d'une réflexion internationale.

Je voudrais à présent vous proposer une traduction de ces principes en des droits minimaux revendiqués par les citoyens sur Internet :

Internet présente la spécificité d'être un réseau ouvert et coopératif, de nature fondamentalement symétrique et décentralisée. Ainsi, un acteur d'Internet peut être amené à jouer indifféremment les rôles de producteur d'information, de consommateur d'information, ou encore de relais d'information entre deux acteurs. Par conséquent, les principes que je vais souligner doivent être interprétés et traduits en comportement ou conduites appropriées dans chaque cas :

Droit à l'expression :

Tout acteur est en droit de produire des informations et de les mettre à disposition de l'ensemble des acteurs, sous sa propre responsabilité et dans le respect des conventions régissant l'expression publique.

Droit à l'information :

Tout acteur ayant atteint l'âge légal de la majorité a droit d'accès à tous les espaces publics d'Internet. Les mineurs d'âge exercent leur droit d'accès sous la responsabilité de leur tuteur légal.

Droit à la communication :

Tout acteur est en droit de produire des informations et de les mettre à disposition d'un acteur ou groupe d'acteur identifié. Ces informations sont protégées par le secret de la correspondance privée.

Droit à l'anonymat :

Tout acteur est en droit de produire des informations sous couvert d'un anonymat légitime lorsqu'il l'estime nécessaire.

Droit à la confidentialité : Tout acteur est en droit d'interdire ou de restreindre l'accès à des informations privées. Le droit d'utiliser librement des mesures et produits efficaces destinés à garantir l'authentification, la confidentialité et l'intégrité des communications doit lui être reconnu. Ce droit est par ailleurs intimement lié au droit à l'anonymat.

Droit au respect de la vie privée :

Tout acteur peut s'opposer à la collecte des données nominatives, démographiques ou commerciales, à d'autres fins que le bon fonctionnement technique et l'exécution d'une prestation contractuelle. Les acteurs doivent s'engager à ne pas collecter des données personnelles à l'insu des personnes concernées, à ne pas utiliser ces données à d'autres buts que ceux indiqués, et à ne pas les communiquer à des tiers, sauf accord express.

Tout acteur a le droit de refuser les sollicitations non désirées ou constituant un abus.

Mesdames et Messieurs,

Ces droits minimaux ne sont que la transcription des principes de liberté d'expression, d'information, de communication et de respect de la vie privée. Ils ne sauraient s'appliquer sans leur contrepartie naturelle, qui implique que tout acteur doit assumer ses responsabilités face à la société, dans le respect des législations nationales et internationales.

Pour le respect des droits des citoyens comme pour la préservation de l'activité des acteurs économiques majeurs que représentent les fournisseurs d'accès et de services à Internet, il est crucial de séparer les responsabilités des fournisseurs d'accès et de services de celle des fournisseurs de contenu. Ainsi, la production des informations et leur mise à disposition publique doit se faire sous la responsabilité pleine et entière du fournisseur de contenu.

Internet est une infrastructure de communication ouverte à tous, dont les services sont utilisés par des citoyens comme par des organismes non gouvernementaux ou institutionnels, ou encore par des sociétés commerciales. A ce titre, on ne peut y adapter des mécanismes faisant uniquement référence à la déontologie de certaines professions, et le citoyen s'exprimant sur Internet ne saurait être soumis à de telles règles, et ne saurait être limité dans son expression publique que par la législation, respectueuse de ses droits constitutionnels.

Ainsi qu'il est rappelé dans la motion que nous adressons au Parlement Européen, certaines visions de l'autorégulation présentent un danger d'assimilation de la responsabilité pénale du fournisseur de contenu à celle du fournisseur d'accès et de services, danger qui pourrait conduire à une perte de souveraineté de l'autorité judiciaire en faveur des professionnels commerciaux. Il est primordial de se garder de ce danger qui porterait atteinte à l'Etat de droit.

En effet, des décisions qui consisteraient à faire assumer à des fournisseurs d'accès et de services la responsabilité d'un contenu lorsque sa teneur a été portée à sa connaissance mettraient le fournisseur d'accès et de services en position de juge et de censeur, alors que son rôle se limite au transport et à la mise à disposition automatique d'informations fournies par un fournisseur de contenus. Il faut reconnaître au fournisseur d'accès et de services son incapacité à juger du caractère délictueux ou nocif d'une information lorsqu'elle est fournie par une tierce partie.

Il est crucial que l'appréciation du caractère illégal ou nocif d'une information reste du seul ressort de l'autorité judiciaire, dont c'est le rôle social.

Mesdames et Messieurs,

Au nom des citoyens que la coalition internationale GILC représente, nous vous demandons instamment d'éviter que des émotions conjoncturelles fortement médiatisées puissent porter atteinte aux principes fondateurs de nos sociétés, principes fondamentaux pour la protection des droits de l'homme et des libertés publiques.

Nos sociétés savent se réunir et s'unir pour lutter contre les crimes les plus graves portant atteinte à notre dignité à tous, comme cela a été le cas à Stockholm pour la lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs. Il s'agit de se donner les moyens pratiques de renforcer la collaboration judiciaire internationale, sans porter atteinte à la souveraineté des États ni aux droits des citoyens.